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Lectures et élucubrations de Liliba
27 janvier 2011

L'enquête - Philippe CLAUDEL

 

coeur

l_enqu_te

Quatrième de couverture

« Nous traversons des temps difficiles, vous n'êtes pas sans le savoir. Très difficiles. Qui pourrait prévoir ce que nous allons devenir, vous, moi, la planète... ? Rien n'est simple. Un peu d'eau ? Non ? Comme vous voulez. Après tout, si vous permettez, je peux bien me confier à vous, à mon poste, on est bien seul, terriblement seul, et vous êtes une sorte de médecin, n'est-ce pas ? - Pas vraiment..., murmura l'Enquêteur. - Allez, ne soyez pas si modeste ! » reprit le Responsable en lui tapant sur la cuisse. Puis il inspira longuement, ferma les yeux, expira l'air, rouvrit les yeux. « Rappelez-moi le but exact de votre visite ? - À vrai dire, ce n'est pas vraiment une visite. Je dois enquêter sur les suicides qui ont touché l'Entreprise. - Les suicides ? Première nouvelle... On me les aura sans doute cachés. Mes collaborateurs savent qu'il ne faut pas me contrarier. Des suicides, pensez donc, si j'avais été au courant, Dieu seul sait ce que j'aurais pu faire ! Des suicides ? »

« C’est en ne cherchant pas que tu trouveras. » Voilà une des consignes qui sont données à l'enquêteur qui débarque dans cette ville inconnue, et j'ajouterai pour les futurs lecteurs de ce roman "c'est en ne cherchant pas à comprendre que tu aimeras ce livre".

Car nous sommes ici dans un monde étrange et une ambiance bien particulière. Ce roman est très différent de ceux que j'ai déjà pu lire de l'auteur (Les âmes grises, Le rapport de Brodeck, Le monde sans les enfants) mais je l'ai cependant beaucoup aimé, bien que l'atmosphère soit totalement pesante tout au long de l'histoire. Un enquêteur arrive par le train dans une ville inconnue, qui ne sera pas nommée, de même que chacun des protagonistes : ici, tout est anonyme, la ville, les gens et seules les fonctions différencient les uns des autres : il y a l'enquêteur, il y aura également le gardien, les serveurs,  le psychologue, les passants, le conseiller financier, le fondateur, le garde, le veilleur de nuit, le chef de service, le médecin du travail et, naturellement, le DRH.  Plusieurs personnes donc qui croiseront le chemin de l'enquêteur, mais ne l'aideront pas vraiment à faire avancer son enquête sur l'Entreprise.

Car cet homme a une mission : il doit comprendre pourquoi une vague de suicides a semble-t-il sévi dernièrement parmi les employés de l'Entreprise. Nous y sommes ! Ce petit clin d'oeil à la réalité nous renvoie bien évidement à l'actualité de certaines grandes entreprises françaises dont la presse a fait ses choux gras ces derniers mois... Satyre du monde actuel ? oui et non. Oui, bien sûr, parce que ce roman parle de la déshumanisation de notre société, de son enfoncement progressif dans l'anonymat, de la non reconnaissance des qualités des hommes et femmes qui la composent, qu'on ne considère plus que selon leur statut ou leur métier.

Mais non parce que l'univers inventé par Claudel est, fort heureusement, imaginaire. Il y a du Kafka dans ce récit, et j'ai également pensé à George Orwell dans 1984, ou à Huxley et son Meilleur des mondes. Tout ici est noir, pesant, étouffant, angoissant (n'espérez pas vous endormir de suite si vous lisez le soir !), tout oppresse, tout fait peur...

C'est pourtant au départ une ville bien ordinaire. Mais très vite, l'enquêteur va perdre le nord, avant de penser devenir complètement fou. L'hôtel est étrange, les chambres soit microscopiques, soit gigantesques, le personnel peut passer de l'amabilité la plus totale à une agressivité terrible, et même les clients semblent débarquer d'un autre monde. Est-ce là un mauvais rêve, un cauchemar de cet homme trop impliqué dans son travail, sa mission ? Plusieurs fois il semble le croire et aspire à se réveiller, mais sa déchéance morale et physique lui font comprendre qu'il est bien dans le réel, sauf que cette réalité-là est un enfer et qu'il n'y a plus ses repères...

L'hostilité plane au dessus de lui, mais il est parfois totalement décontenancé par une soudaine amabilité. Il y a en effet certaines règles dans cette ville, règles dictées semble-t-il par cette fameuse Entreprise sur laquelle il doit faire un compte-rendu, qu'il ne connaît pas, ne maîtrise pas. Il pense bien faire et devient un paria, presque l'ennemi public de ce système fou. Il se sent victime, a même peur pour sa vie et se retrouve surtout, seul, totalement seul, et impuissant face à ces évènements qu'il n'arrive pas à comprendre.

Logique et bon sens n'ont plus cours ici. Mais l'enquêteur est tenace et a le sens de sa mission, il essayera donc tant bien que mal de garder la tête claire, un semblant de bon sens pour ne pas sombrer dans la folie pure. Quelle est donc cette société qui lobotomise ainsi ses habitants, qui leur enlève toute capacité de pensée ou de réaction ? Cet homme réussira-t-il à se sortir de ce piège, à se départir de sa fonction pour redevenir un homme libre, retrouver sa personnalité et son libre-arbitre, et tout simplement sa liberté ?

J'ai dévoré cette Enquête de bout en bout, avec des frissons de peur et de dégoût, d'angoisse... Mon Dieu, et si ce monde advenait ? Si nous laissions une société totalitaire prendre en main nos vies, nos destins ? Une idée qui fait froid dans le dos, et qui incline à réfléchir... Tout est froid ici, et c'est sans doute l'atmosphère voulue par l'auteur. J'ai adoré, mais je peux parfaitement comprendre que ce roman puisse ne pas plaire du tout.   

 

 

Un roman lu par Daniel, Bellesahi, Sylvie, Clara, Lili Galipette, Sybilline, Livrogne, Sophielit...

1pourcent_rentr_e_litt_raire

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Commentaires
L
@ Noann... ce qui fait froid dans le dos...
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N
Oui c'est une caricature à gros traits déformés de la société actuelle...<br /> <br /> ... ou une visions prophétique de ce qu'elle serait dans 20 ou 30 ans......
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L
@ Nanne, ce sont en effet des traits que l'on retrouve dans notre société, mais là, ils sont poussés à l'extrème, jusqu'à l'absurde et la folie... très dérangeant et passionnant !
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N
Ne sommes-nous pas dans une telle société, Liliba ?! C'est malheureux, mais j'ai comme l'impression que Philippe Claudel nous raconte le quotidien, la vie de notre société où plus personne ne se parle, où tout le monde a peur de l'autre, où chacun se cache quelque part et où tout est fictif et déshumanisé ... Ce roman a été diversement apprécié. Je crois que je vais le lire parce que j'aime Philippe Claudel et qu'il nous relate toujours une certaine part de vérité que l'on se refuse à voir !
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L
@ Géraldine : comment imaginer, avec un auteur qui possède un tel talent, qu'il n'en soit pas autrement ? Mais cela destabilise un peu quand on a auparavant lu tous ses autres livres...
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