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Lectures et élucubrations de Liliba
20 juin 2014

A copier 100 fois - Antoine DOLE

A copier 100 fois-Antoine Dole-Liliba

 

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« Et ça fait quoi d’être une fiotte ? » 

 

Voici un roman court dédié aux adolescents, mais que les adultes devraient lire de concert pour pouvoir en discuter avec eux. Parce que le sujet est sensible et qu’il mérite d’être « débriefé » en famille, bien sûr, mais aussi à mon sens parce que l’approche qu’en fait l’auteur est un peu, je ne sais pas, particulière. Je pensais en effet aborder un livre sur le harcèlement, ce qu’il est, mais je n’avais pas compris que ce serait aussi un manifeste contre l’homophobie, une « maladie » qui n’est jamais nommée expressément, mais qui est effleurée par petites touches, par des non-dits, ce qui est encore pire…

Le narrateur a 13 ans et il subit un enfer quotidien au collège, où il se fait insulter, taper dessus, ridiculiser et martyriser sans discontinuer. Il semble que les professeurs et surveillants ne remarquent rien (ou ne veulent rien voir) et il est seul pour affronter cette terreur qui le terrasse dès que ses agresseurs s’en prennent à lui, c’est-à-dire tous les jours, au détour d’un couloir, au fond de la salle de sport ou dans un recoin de la cour de récré. A part Sarah, sa seule amie, personne ne prend sa défense. Il est seul également à la maison puisque son père, lorsqu’il le voit rentrer avec des vêtements déchirés ou salis, l’exhorte à se battre, à se défendre « comme un homme », à rendre coup pour coup, sans pour autant creuser le problème, en le reniant au contraire. Bien sûr, le garçon ment, inventant chaque fois un prétexte différent à ses nombreuses blessures, mais le père n’est pas dupe pour autant, même s’il se réfugie dans un silence et un déni confortables. 

 "Papa m’a dit cent fois comment faudrait que je sois. Qu’un garçon, ça pleure pas, ça se laisse pas faire. Mais papa n’est pas là quand Vincent et ses potes viennent me chercher des crosses dans la cour. J’me prends des baffes, des coups de poing, et je dis rien, je serre les dents. J’en parle pas. Pour quoi faire ? Papa m’a dit cent fois qu’un garçon, ça règle ses comptes tout seul, que ça doit savoir se débrouiller, « comme un homme » il a dit. Quand je rentre du collège, papa n’est pas content, parce que ma chemise est déchirée ou qu’un bouton manque, que ma lèvre saigne et que j’sais pas quoi répondre quand il me demande si j’ai su me défendre."

Il est dans une solitude effroyable qui fait frémir et surtout qui culpabilise : sommes-nous donc si aveugles, si autocentrés pour ne pas voir la détresse et la souffrance d’un enfant ?

Je pense qu’il est bon de parler d’homosexualité aux enfants, mais que la différence de ce jeune garçon n’avait pas besoin de ce « stigmate » pour être exprimée. De nombreux enfants se font traiter de « pédés » sans en être (ou sans en avoir conscience) et le fait même de recevoir cette insulte est ravageur. J’ai été choquée, ulcérée par l’attitude du père, qui fait l’autruche et qui sans doute par son comportement, fait plus de mal encore à son fils que les coups qui pleuvent sur lui à l’école. Et également par le fait que l’enfant se dise que c’est à lui d’avouer qui il est, comme si le fait d’être était déjà en soi un péché, un mal.

Je n’ai pas pu m’empêcher non plus de trouver quelques clichés : mère absente, physique « de tapette » (il y a aussi des homos qui sont grands, forts et avec une grosse voix et un air ultra viril, eh oui !), et surtout j’ai été choquée par la fascination qu’a ce garçon pour ses propres blessures, qu’il regarde, admire presque comme si elles étaient la preuve qu’il est bien vivant, lui-même. Etre quelqu’un de battu plutôt que personne, vous voyez ce que je veux dire ? 

Un mot encore, on peut être différent et maltraité sans être homo, à tout âge de la vie. Et je pense que le roman aurait été encore plus fort sans qu’il en soit fait mention. Chaque différence perturbe, énerve, excite la curiosité, la jalousie ou la haine et en rajouter une couche sur le sujet m’a semblé un peu trop « sujet à la mode ». Alors bien sûr, ce roman peut aider les jeunes qui se cherchent et ne se retrouvent pas dans le modèle hétérosexuel, qui ne savent pas encore comment orienter leur vie et leurs préférences de ce côté-là. Mais je ne le trouve pas très optimiste. En effet, le père, même à la fin, n’exprime rien de très clair, tout est en périphrases, en point de suspension et le narrateur termine le récit par « Papa m’a dit une fois, une seule, ces mots que je n’oublierai pas. Les seuls mots qui comptent. Les seuls mots qui rendent fort. » Une fois seulement ? Alors voilà ? Problème vaguement abordé et hop, tiroir, on n’en parle plus ? J’en suis restée baba…

Alors, oui, ce roman est poignant et révoltant (et en plus très agréable à lire, ce qui ne gâte rien) et je pense que vous pouvez le lire et le faire lire à vos enfants. Mais c’est aussi selon moi totalement dénué d’espoir de consolation. Ma fille Charlotte a beaucoup aimé ce récit, mais elle a pleuré à la fin, en me disant « mais c’est trop triste, en fait, son père ne l’écoute pas plus qu’avant et ça va toujours continuer, il croit que c’est de sa faute ». Je ne suis donc pas la seule à avoir ce ressenti un peu ambivalent… 

« Pourquoi je peux pas te regarder en face et te dire que ouais, papa, ton fils est pédé, que c'est plus dur pour toi que pour moi, qu'on s'aime et que tout ira bien, comme dans les histoires que tu me racontais avant. […] Je veux que t'aies mal papa, je veux que tous les autres aient mal, et Vincent et Laurent et Julien, tous ces connards du bahut. J'veux plus me taire, j'peux plus me taire, parce que ça me tue, vraiment ça me tue. J'ai trop de bleus à l'intérieur. »

 

L’avis de charlotte

C’est intéressant parce qu’on sait ce que ressentent les enfants maltraités.

Parfois, dans la cour du collège, quelqu’un se prend une baffe, mais ça n’est pas répétitif, et je n’ai jamais vu que ça soit toujours le même enfant qui se prend des baffes.

Toute sa vie, ce garçon aura des gens qui vont le juger, il faut qu’il s’habitue et qu’il s’accepte comme il est. Mais en même temps, c’est plutôt les autres qui devraient l’accepter.

J’ai pleuré quand il est dans la salle de bain quand il a envie de se tuer. Mais au moins le papa joue enfin son rôle de père, sauf qu’il faut attendre la mort ou presque pour qu’il devienne un vrai père !  Ca démontre que certains parents ne font pas hyper attention à leurs enfants, qu’ils devraient plus s’en occuper, être plus à l’écoute. Heureusement, à la maison, ça va !

0 Challenge Petit bac 2014

Merci à ma très chère Noukette pour ce cadeau !

Lu également par LizouzouA propos de livresCanel, ConstanceGambadouJérôme, StéphieLiyahYs...

 

Le site de Antoine Dole et une interview , ainsi que deux liens très intéressants trouvés chez EnnaLes injures - Les claques

 

 

 

 

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Commentaires
N
Il y a effectivement beaucoup de l'auteur dans ce roman... Il n'a pas du être facile à écrire d'ailleurs...<br /> <br /> Un livre coup de poing pour moi, limite indispensable, ravie qu'il t'ait plu !
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S
Il est drôlement bien ton billet, il fait un écho bizarre à Bellegueule je trouve non ?
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K
Le commentaire de jérôme est éclairant.<br /> <br /> J'aime bien le "heureusement à la maison ça va" de ta fille... ^_^
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J
Moi j'ai aimé cette fin à la fois ouverte et très pessimiste. Et puis pour avoir rencontré l'auteur, je crois qu'il y a un peu beaucoup de lui dans ce texte, surtout par rapport à ce que le personnage subit au collège (il explique d'ailleurs qu'il a aujourd'hui encore la boule au ventre quand il franchit les portes d'un établissement pour rencontrer ses lecteurs).
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S
Je l'ai fait lire à quelques élèves, sans doute trop jeunes, et à une collègue. Tous étaient unanimes sur l'absence d'espoir qui les a retournés.
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