Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lectures et élucubrations de Liliba
19 juillet 2014

Réparer les vivants - Maylis de KERANGAL

 

Réparer les vivants-Maylis de Kerangal-Liliba

00 coeur00 coeur00 coeur00 coeur

LC avec Cynthia

0 Lectures communes

 

« Enterrer les morts, réparer les vivants. »

La mort fait partie de la vie, mais quand elle frappe avec fracas, c’est l’horreur. Une horreur absolue qui touche les parents de Simon Limbes, jeune surfeur de 20 ans à peine qui au retour d’un rendez-vous avec une vague plus belle que les autres un petit matin d’hiver, verra son avenir stoppé net par un accident de la route.

Les trois copains ont survécu au froid et au danger de la mer et pendant quelques instants, se sont sentis les rois du monde, faisant un avec l’élément liquide, mais à la fois aussi légers que des oiseaux, aussi mobiles que des poissons. Ils ont épousé le souffle de la mer pour se fondre en elle et la chevaucher, se sont sentis vivants comme jamais. C’était sans compter la fatigue accumulée par ces heures de sport intense, le froid qui en les quittant dans l’habitacle de la camionnette les a plongés dans une douce torpeur intensifiée par le chauffage à fond, la fatigue… Dérapage, arbre. Deux d’entre eux avaient une ceinture, mais pas Simon, qui est passé à travers le pare-brise.

Mort.

Mort, oui. Cliniquement. De cette mort qui autrefois n’était pas la mort. Son cœur bat encore, il semble en vie, juste assoupi ou dans le coma. Mais son cerveau est irrémédiablement détruit. La médecine d’aujourd’hui le considère donc comme mort. Un état inconcevable pour ses parents qui, sous le choc, accourent à l’hôpital, et doivent faire face à cette terrible nouvelle. Cette nouvelle donne dans leur existence qui chamboulera tout à tout jamais.

« Combien de temps sont-ils restés assis de la sorte après l'annonce, affaissés au bord de leurs chaises, pris dans une expérience mentale dont leur corps jusque-là n'avait pas la moindre idée ? Combien de temps leur faudra-t-il pour venir se placer sous le régime de la mort ? Pour l'heure, ce qu'ils ressentent ne parvient pas à trouver de traduction possible mais les foudroie dans un langage que précède le langage, un langage impartageable, d'avant les mots et d'avant la grammaire, qui est peut-être l'autre nom de la douleur, ils ne peuvent s'y soustraire, ils ne peuvent lui substituer aucune description, ils ne peuvent en reconstruire aucune image, ils sont à la fois coupés d'eux-mêmes et coupés du monde qui les entoure. » 

« Elle se lève, un mouvement brusque, sa chaise bascule en arrière -fracas sur le sol-, mais elle ne se retourne pas, se tient debout face à lui, une main posée sur la table assurant un appui à son corps chancelant, l'autre pendue le long du corps, ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme ils s'écrasaient l'un dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse du thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde... »

Mais il faut faire vite. Car si le cœur de Simon bat encore, avec l’aide de machines, si ce cœur qu’il avait généreux et aimant n’est pas encore vraiment tout à fait mort, le décompte a commencé. Il faut accepter l’inacceptable. Et puis se poser la question, celle dont peu d’entre nous discutent quand tout va bien. La question du don d’organe. Qu’en pensait Simon ? Qu’aurait-il fait ? Est-il donneur ?

« La possibilité du refus est aussi la condition du don »

Et une des merveilles de ce roman, c’est qu’il parle de mort dès le deuxième chapitre et tout du long, mais qu’il ne pense qu’à la vie. La vie qui veut continuer, plus pour Simon, bien sûr, mais qui continue pour les autres. Pour ses parents qui se remémorent des moments du passé, pour la petite amie de Simon, ou pour tout le personnel de l’hôpital, les chirurgiens, les infirmiers, l’anesthésiste ou l’accompagnateur du don, la vie continue de battre, avec ses joies, ses peines, ses souvenirs. L’auteur nous fait rentrer à petites touches dans la vie de tous ceux qui entourent Simon en ces derniers instants, de tous ceux qui maintiennent la dernière étincelle de vie, le dernier souffle de son cœur avant de le laisser enfin pour mort. Car Simon, c’est la vie. La vie de receveurs qui se verront insuffler un nouvel élan, qui seront sauvés grâce aux organes que les parents accepteront de donner. Cœur, foie, poumons, reins… la vie quitte le jeune garçon, mais va s’insinuer dans d’autres corps, aider à respirer des cœurs inconnus. Et le souffle de Simon, son cœur pourra continuer à vivre dans le corps de Claire.

« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. Que subsistera-t-il, dans cet éclatement, de l’unité de son fils ? Comment raccorder sa mémoire singulière à ce corps diffracté ? Qu’en sera-t-il de sa présence, de son reflet sur Terre, de son fantôme ? »

Le sujet est dur, certes, mais je ne l’ai pas un instant trouvé trop dur. J’ai ressenti ce souffle de vie tout du long, accentué par l’écriture absolument magnifique de Maylis de Kerangal. Impossible de poser le livre, de le laisser se reposer, il faut lire, lire, pour que continue à battre la vie, pour que le souffle ne s’éteigne pas, pour que d’autres, au final, vivent aussi. L’auteur est très technique dans ses descriptions, notamment dans l’opération du jeune homme, mais cela n’est pas un instant dérangeant. Au contraire, le concret, le factuel, la technique tiennent l’émotion en garde, permettent de garder tête froide et idées claires, alors que dans le même temps nous partageons les soucis quotidiens parfois bien banals des uns et des autres. Ce roman est hyper poétique, délicat, sublimement écrit et à la fois technique et précis, clair. C’est un tourbillon de vie qui nous submerge, nous emporte. 24 heures de vie poignantes et passionnantes, une des plus belles lectures de ces derniers mois pour ma part, à couper le souffle.

J’ai de plus eu la grande chance de rencontrer Maylis de Kerangal dans ma librairie fétiche Les lisières à Roubaix. Aussi lumineuse que les mots qu’elle nous offre, expliquant la genèse de son roman, et que vous pouvez écouter à votre tour sur Libfly. J’ai également, à peine le roman refermé, refait valider ma carte de donneur (qui veut mes vieux poumons pleins de clopes ???) et inscrit mes enfants. Fasse le ciel que cela ne serve jamais, mais je veux pouvoir aider d’autres gens si jamais l’un de nous devait mourir.

Un grand extrait à lire ici et vous pouvez écouter une lecture de l’auteur ici.

Et si jamais vous voulez me faire plaisir, vous pouvez m’offrir tous les livres de cette auteur que je n’avais jamais lue auparavant…

 

P1210896 P1210897

P1210898 P1210899

P1210901 IMG1318

IMG1319

0 challenge régions Lystig 20 Challenge Petit bac 20140 Challenge Nos pépites de l'année Galea

Publicité
Publicité
Commentaires
L
j'ai déjà lu ce livre que j'avais également aimé
Répondre
M
J'ai aimé ce texte fort et cette écriture tellement belle et ciselée. Un sujet grave comme tu dis mais où la vie est présente tout au long
Répondre
M
Un texte d'une sensibilité absolument incroyable. <br /> <br /> http://aumilieudeslivres.wordpress.com/2014/08/18/reparer-les-vivants-maylis-de-kerangal/<br /> <br /> (J'avais repéré cette rencontre dans les RDV à ne pas manquer mais n'ayant pas lu le livre à ce moment-là, j'avais renoncé au déplacement... Cela devait être passionnant !)
Répondre
N
Lu il y a peu... Je digère un peu avant d'écrire le billet mais curieusement, ce n'est pas un coup de coeur...
Répondre
M
Je suis passée à côté de ce livre. L'écriture ne m'a pas touchée.
Répondre
Lectures et élucubrations de Liliba
Publicité
Archives
Publicité