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Lectures et élucubrations de Liliba
13 septembre 2011

Les amants de Francfort - Michel QUINT

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Je vais aujourd'hui vous parler d'une de mes lectures récentes, mais pas au travers d'un billet comme je le fais actuellement. J'ai en effet eu la chance d'assister mercredi dernier à une rencontre avec Michel Quint organisée par la Librairie Le bateau livre à Lille, à laquelle j'ai été invitée par Libfly, qui m'avait envoyé le livre en avant-première cet été.

Une rencontre passionnante, riche en rencontres, découvertes et échanges, avec un auteur qui a merveilleusement lu plusieurs passages de son livre, et en a parlé de façon tout à fait simple, avec talent et humour, questionné de manière très pertinente et amicale par le libraire du Bateau Livre.

Je n'avais rien pour enregistrer et ai donc tenté d'écrire à toute vitesse, au fil de la discussion... (Ah, quand je pense qu'il y a quelques années, j'avais appris la sténo, et que je l'ai aussitôt oubliée, cela m'aurait bien servi en cette occasion !) Certains passages entre guillemets sont des citations de l'auteur, que j'ai réussi à retranscrire sans (trop) me tromper, le reste est un mix de ce que j'ai noté et de ce dont je me suis souvenu après coup.

L'action de se roman débute à la Buchmesse de Francfort, foire du livre où s'achètent les droits des livres pour l'international, et il s'agit ici d'un roman qui comporte une intrigue qui est presque une intrigue policière, en tout cas originale et noueuse. L'idée du roman fut évoquée la première fois lors d'un déjeuner avec Gilles Cohen Solal des Editions Héloïse d'Ormesson. Il s'agissait d'écrire une histoire sur des amants qui ne se retrouvent qu'une fois par an, à Francfort lors de cette fameuse foire aux livres. Michel Quint a qui cette idée a tout de suite plu s'est engagé à en faire un roman et a réussi à écrire Les amants de Francfort en 5 mois, ce qui est, vous en conviendrez, un délai très court !

Parlons tout d'abord des personnages du roman : Fitz est un requin de l'édition, comme il en existe réellement. Ce sont, dit Michel Quint "des gens qu'on adore dans le milieu, capables de faire la fortune d'un auteur, mais qui sont cyniques, sans âme, et pour qui les livres sont des objets". Fitz ne dit que des demi-vérités, ou des semi-mensonges, c'est selon... Il est intelligent, filou et retors et a un carnet d'adresses immense, qu'il utilise à des fins mercantiles.

Sandor, quant à lui, autre figure emblématique du roman, est une légende vivante : il se raconte, passe en fait son temps à narrer le roman de sa vie, dont la version varie à chaque fois. Il se réclame de Sandor Pétöfi, grand poète hongrois, ainsi que de Dracula, de Erzébeth Bathory, la comtesse rouge. Il s'invente une généalogie légendaire qu'il raccroche comme il peut à la réalité ou à certains évènements de sa vie. C'est un personnage très littéraire et mystérieux, qui ne raconte jamais sa vraie histoire, qu'on apprend vers la fin du roman seulement. Il refuse à tout prix qu'on fasse un livre de son histoire (ou ses histoires) et tient à l'oralité de la littérature, qui pour lui n'est pas un sujet de commerce, à l'inverse de Fitz. A noter que Sandor fait penser au clown d'Effroyables jardins.

Les deux personnages principaux sont manquants au tout début du roman. Florent Vallin, directeur des Editions En colère, vient à Francfort à reculons. En effet, il est encore sous l'influence des préjugés de sa mère sur les Allemands, qui les considère tous comme des "bouffeurs de patates", des nazis et des buveurs de bière (ce qui entre vous et moi, pour les patates et la bière n'est pas tout à fait faux !). La mère de Florent a d'autant plus de préjugés contre l'Allemagne que son mari y a été assassiné, croit-on par des gens de la bande à Bader.

Un autre personnage manquant est Léna, l'archétype de la femme fatale, de l'intriguante. Florent, qui tombe sous son charme immédiatement, comprend pourtant qu'elle attend quelque chose de lui, professionnellement parlant, et qu'elle peut être un piège (d'autant plus qu'il s'avère qu'elle connait bien Fitz), mais il s'en fiche totalement, subjugué. Il y a dans l'attirance de Florent pour Léna une dimension tragique, liée au mythe de la femme fatale pour qui on se damne sans regret, même en sachant ce qu'on perd. Et en effet, il apprendra plus tard qu'elle veut racheter sa maison d'édition.

"Et à l'instant où je dis cette demi-vérité sans importance pour un autre que moi, une sorte de flamme écarlate passe vite dans le dos de Fitz, pas le temps de fixer l'image en détail, déjà elle a disparu, c'est la rengaine d'Edith Piaf, la foule vient l'arracher d'entre mes bras, où elle n'était pas d'ailleurs, et cette femme brune, en robe bustier rouge, ce visage en fer de hache, dur et terrible et éblouissant à faire mal, aux épaules nues, jamais je n'ai autant eu envie qu'on me sourie encore parce qu'elle m'a souri, et c'est tout. Fitz a vu mon manège de foudroyé d'amour, de saisi d'admiration au bas mot, hop là, et il rit :  - Ne mange pas toutes les sucreries d'un coup, ami Florent..."

Le personnage de Clémence est plus discret mais très présent vers la fin du roman. Clémence est un personnage qui évolue énormément au cours de l'histoire. C'est celui qui touche le plus aux thèmes de la mémoire générale et de l'histoire et de la mémoire personnelle. L'auteur ajoute qu'il ne se préoccupe pas particulièrement de la mémoire pour son cas personnel, bien qu' "on perde des neurones chaque jour !". En revanche, la mémoire globale est un sujet qui le préoccupe, et ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la maison d'édition de Florent s'appelle "En colère". "On peut se révolter en littérature, être un écrivain qui crie". Michel Quint déplore le manque de mémoire des hommes, pas au sens folklorique, mais en parlant de la mémoire des faits et des agissements : on dit toujours qu'on tire les leçons du passé, mais il semble que les hommes reproduisent au contraire des enchaînements de comportements et d'actions qui montrent qu'ils n'ont rien retenu... On assiste à une oblitération volontaire de la mémoire qui empêche la lucidité des individus.

L'auteur ajoute qu'il n'aime pas l'arrogance des gens ou des nations qui pensent qu'il sont "plus" que le autres (cf les Américains, entre autres... le Japon et d'autres). Ce ne sont pas des saints, mais nous non plus, il suffit de se pencher sur quelques évènements de l'histoire de France, comme l'a fait Jean Teulé dans Charles IX, qui nous rappelle le massacre de la Saint Barthélémy.

Florent, le narrateur, est un jeune éditeur français, marié à une femme qu’il n’aime plus et père d’un garçon, qui se rend, à contre cœur à la Buchmesse de Francfort. Logé dans le palace où descendent tous les éditeurs qui "comptent", il va vite se plonger dans ce univers particulier et rencontrer Fitz, Sandor et Léna, entre autres, mais aussi être confronté à un double meurtre.

« Magda, la jeune femme de chambre en chef qui découvrit en début de matinée les corps sauvagement égorgés d’un homme et d’une femme, nus dans l’odeur d’amours intrépides, avoua par la suite avoir conservé son sang-froid le temps de laver machinalement dans la salle de bains ses mains qui avaient touché le lit par réflexe, puis d’avertir la première personne rencontrée dans le couloir, Sean Fitzgerald, pas encore couché après une belle nuit de travail. »

Ce roman est donc un roman noir, mais aussi par certains cotés un roman naturaliste. On y côtoie les mondanités du salon du livre (dont les descriptions sont absolument extra), la faune de ce milieu littéraire, tout ce petit monde qu'on pourrait mettre sur une scène de théâtre, tant les rôles de chacun sont identifiés et paraissent joués. Mais sous les apparences se cachent de terribles réalités économiques. "On est là pour faire de l'argent, et pas de la littérature. On ne se demande pas ce que vaut un livre, littérairement parlant, mais combien il va rapporter. On a l'impression de vendre son âme". (Michel Quint ajoute d'un air pétillant qu'il n'est pas certain d'en avoir une...).

Il existe à l'heure actuelle une dizaine seulement de personnes dans le monde pratiquant le métier de Fitz, qui se retrouvent régulièrement un peu partout dans des villes improbables, mais préparent leurs contacts professionnels à Francfort. Les affaires se font dans les bars où l'on se retrouve en petit comité, comme il est décrit dans le roman, mais pas dans les stands, au vu et au su de tout le monde. Dans ce milieu-là, le livre n'existe plus en tant que tel, et on peut se baser autant, voire même plus sur la photogénie d'un auteur, ou sur des rumeurs plus ou moins sulfureuses susceptibles de créer un buzz que sur le talent du-dit auteur et la qualité de son livre.

L'histoire et la politique de l'Allemagne sont un autre sujet très présent dans Les amants de Francfort. On y parle beaucoup du STO pendant la guerre, puis de l'après-guerre et de la montée des groupes extrêmes tels que la bande à Bader qui a sévit en Allemagne.

Michel Quint, qui se décrit lui-même comme "un anti-clérical au centre", rappelle le cas de l'Abbé Achille Liénart qui a eu droit à des funérailles nationales et a activement participé au STO en encourageant ses fidèles dans ses sermons pour qu'ils aillent travailler en Allemagne. L'auteur ajoute en souriant que "les bouffeurs d'osties se sont bien fait avoir"... Cela créera d'ailleurs un vrai débat à la fin de la guerre, personne ne voulant avouer ni admettre qu'ils avaient été volontaires, face à ceux qui, réquisitionnés de force, n'ont pas eu le choix... Vous pouvez sur le même sujet lire le roman Flétrissure de Nele Neuhauss.

Il est intéressant de noter que dans ce roman, et dans plusieurs autres de son oeuvre, l'auteur cherche à souligner des faits de l'histoire pas si lointains que ça, mais que les consciences collectives s'efforcent d'oublier... A noter également que Michel Quint assure n'avoir pas envie de refaire le même type de roman, de forcément continuer dans la veine dans laquelle on l'attend, même si les thématiques de la mémoire, personnelle et collective, et de l'histoire reviennent régulièrement dans ses écrits. Il affirme également être atteint de "graphomanie", et reconnaît comme fondée la remarque du libraire du Bateau livre qui souligne l'évolution de son écriture, plus vive, se rapprochant plus du langage parlé, utilisant plus de raccourcis.

Michel Quint ne veut en aucun cas se soumette au diktat de nombreux lecteurs qui veulent toujours la même veine dans les romans suivant celui qu'ils ont aimé et se prend parfois à maudire les poètes, qui eux trouvent toujours le mot juste et la magie de la poésie qui fait apparaître un monde complet en quelques mots : "je ne serai jamais Rimbaud, mais en même temps, il faut essayer !"

Le mot juste ! le mot juste !
Quelle économie de papier le jour où une
loi obligera les écrivains à ne se servir
que du mot juste !

(Jules Renard)

On trouve également dans Les amants de Francfort de très belles descriptions des paysages allemands traversés par les compères Florent, Fitz et Léna. Une Allemagne wagnérienne, qui impose sa superbe. L'auteur connaît bien les régions décrites et réussi à les peindre avec des mots de poète. Il a toujours été très stupéfait par la beauté de l'endroit et par le fait que le Mal ait pu surgir d'un tel lieu.

A la question du Bateau livre de savoir si l'auteur sait à l'avance comment va avancer un ouvrage en cours d'écriture, Michel Quint répond simplement qu'il ne sait pas complètement où il veut aller et que ça le tracasse. "J'écris comme Racine, j'essaye d'obéir aux préceptes d'écriture de la tragédie classique" dans laquelle le sort de tous les personnages est quasiment scellé dès le départ, et nous est connu. "Les personnages ne doivent pas être là juste pour meubler l'intrigue, on doit impérativement savoir ce qu'ils deviennent". "A la fin, j'ai besoin de connaître le sort de tout le monde et de tous les objets : le couteau n'est pas anodin" ; souvenez-vous donc, ceux qui n'ont pas encore lu ce roman, que le couteau a son importance...

Parfois pourtant un personnage lui échappe et vit sa vie. Michel Quint indique qu'il faut être attentif et patient, regarder autour de soi, lire les journaux, observer les gens et les choses dans la rue. L'auteur avoue même en riant avoir lu Gala, Vogue et Jalouse le jour même dans le train ! Il ajoute "parfois, ça peut orienter un pan d'écriture, un axe. Il ne faut pas s'énerver, on arrive toujours à trouver un bout de ficelle qui fera tenir les choses. Faut pas forcer... Il faut écrire dans la quiétude du personnage, et se dire qu'il ne sera pas forcément instituteur comme on l'avait imaginé au départ." L'auteur dispose devant lui toutes les pièces et les personnages du roman, et doit à la fin s'être servi de tout et tous. Ce qui le différencie de la littérature Ikéa, car on se retrouve souvent à la fin d'une opération de montage de meuble avec des vis en trop qu'on n'a pas su utiliser !

Michel Quint a également des "trucs en réserve" qu'il utilise parfois : idées qui l'ont marqué et qu'il a notées. Ainsi dans Les amants de Francfort les chasseurs noirs, ces hommes à l'inhumanité la plus totale. Ce corps de chasseur constitué sous le 3ème Reich étaient des "terreurs totales", que même les SS redoutaient.

Je me suis permis de faire une remarque à l'auteur sur l'humour que j'ai trouvé dans ce roman, et qui était totalement absent des autres ouvrages que j'ai lus de lui. Il souligne que l'humour doit réussir à faire passer l'émotion et que sinon, il ne sert à rien.

Dans ce roman, au final, le héros va se réconcilier avec son histoire personnelle, et c'est un sujet qui tracasse M. Quint. En effet, "avant que les gens meurent, il faudrait que chaque individu puisse écrire ses mémoires, ses madeleines de Proust, il faudrait que chacun ait la chance de dire les choses qui le font. C'est la chance du romancier de dire certaines choses. Sauf qu'après -ajoute-t-il en riant- le lecteur croit qu'on se raconte tout le temps..."

Ce héros est un peu macho, paré de toutes les qualités. Zina est à ses pieds et fait tout pour lui : à la fois employée, mère, maîtresse, amie... alors que lui sait tout juste faire cuire des pates. L'auteur a en effet tenu à ce que ce personnage  soit un peu dépendant des femmes, ce qui explique d'ailleurs son amour pour elles.

 

Au final : tout d'abord, une lecture très agréable et intéressante, qui m'a tenue en haleine par l'intrigue bien ficelée et par l'intérêt de découvrir plusieurs pans de l'histoire que je connaissais bien peu. Des personnages hauts en couleurs, dont la psychologie est passionnante et sur lesquels nous avons vraiment envie d'apprendre plus de détails.

J'ai de plus adoré cette rencontre, informelle et sympathique, et totalement passionnante. Michel Quint parle avec ferveur et simplicité à la fois de son oeuvre et est très sympathique et proche de ses lecteurs.

Une belle soirée, et un roman que je vous recommande donc !

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A noter qu'un autre roman de Michel Quint est à paraître le jeudi 13 octobre 2011 aux Éditions La branche : Close-up, un vrai roman policier dont l'action se passe à Lille.

Retrouvez sur Libfly le film de la soirée !

 

Interview vidéo de l'auteur et Site de MIchel Quint.

Merci aux Editions Héloïse d'Ormesson et à Libfly pour l'envoi de ce roman et pour l'invitation !

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finit... mal, comme toujours !

 

Challenge_Petit_Bac  Catégorie Géographie

 

 

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Commentaires
L
@ Yv, il avait parlé du polar à la rencontre et en effet, ça me tente bien ! Truculent est bien le mot, et "en vrai", l'auteur est très sympa, et correspond à son écriture.
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Y
Je n'ai pas lu celui-ci mais un polar très récent écrit par le même auteur : quel pied cette écriture, cette truculence. Je me suis régalé.
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L
@ Choco, merci ! J'ai bien gratté, en effet ! Mais il faut dire que Michel Quint est très bavard !!!
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C
Et bien quel long et dense billet ! Je suis allée à une rencontre avec David Vann récemment mais je suis incapable d'en dire autant que toi, même avec mes notes toutes pourries :)
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L
@ Manu, ah oui, moi aussi, un livre superbe !
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