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Lectures et élucubrations de Liliba
28 mai 2010

Une éducation libertine - Jean-Baptiste DEL AMO


coeur

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«C'est un homme sans vertu, sans conscience. Un libertin, un impie. Il se moque de tout, n'a que faire des conventions, rit de la morale. Ses mœurs sont, dit-on, tout à fait inconvenantes, ses habitudes frivoles, ses inclinations pour les plaisirs n'ont pas de limites. Il convoite les deux sexes. On ne compte plus les mariages détruits par sa faute, pour le simple jeu de la séduction, l'excitation de la victoire. Il est impudique et grivois, vagabond et paillard. Sa réputation le précède. Les mères mettent en garde leurs filles, de peur qu'il ne les dévoie. Il est arrivé, on le soupçonne, que des dames se tuent pour lui. Après les avoir menées aux extases de l'amour, il les méprise soudain car seule la volupté l'attise. On chuchote qu'il aurait perverti des religieuses et précipité bien d'autres dames dans les ordres. Il détournerait les hommes de leurs épouses, même ceux qui jurent de n'être pas sensibles à ces plaisirs-làplaisirs-là. Oh, je vous le dis, il faut s'en méfier comme du vice.»

 

Aux premières pages de ce roman, j'ai eu l'impression de replonger directement dans mes souvenirs de lecture du Parfum de Süskind, ou bien du Paris décrit avec minutie par Jean Teulé, dans Je, François Villon. Nous débarquons en effet directement dans le ventre de Paris, dans sa violence, dans sa noirceur, sa crasse, sa pestilence, au coeur de cette ville qui, si elle est devenue à notre époque superbe et magique, était en ces temps reculés un nid de miasmes, de maladies, de solitudes et de dépravations.

La langue est riche, très, précise, cultivée et extrêmement maîtrisée et on a du mal à se dire qu'il s'agit là d'un premier roman. Les descriptions de la ville peuvent parfois donner des haut-le-coeur tant elles regorgent de réalisme et tant le coté sordide est accentué, mais le style est terriblement visuel et on se retrouve en quelques pages à marcher de concert avec le héros du roman dans les rues souillées, au long d'impasses coupe-gorge, sur les bords puants de la Seine, dans des taudis grouillant de punaises...

Nous sommes donc à Paris, et accompagnons dans ses errances Gaspard, ce jeune provincial qui a quitté précipitamment sa Bretagne natale, dont on apprend au fil des pages qu'il a été un enfant maltraité par son père et qu'il a eu une jeunesse difficile au sein de sa famille, dans la porcherie familiale, et qui vient de débarquer à la capitale. Gaspard veut à tout prix se défaire de son passé, il veut sortir de sa condition de pauvre hère, veut s'élever dans la société et est prêt à tout pour y arriver. Ce tout prend la forme d'une rencontre, celle avec le Comte Etienne de V., un libertin notoire dont la vie dissolue et mystérieuse alimente les conversations des clients du perruquier chez lequel Gaspard a trouvé un emploi (et dont la description est ci-dessus dans la citation). Le Comte va s'enticher du jeune homme et, au fil de quelques rencontres, lui faire miroiter le monde bourgeois dont ses rêves sont emplis. Mais Gaspard est jeune et ne mesure pas au départ la force de l'influence que cet aristocrate séduisant aura sur lui. Cela le conduira au plus bas, physiquement comme moralement, avant qu'un sursaut d'énergie ne le fasse réagir et tenter sa chance, avant qu'il ne se décide à gravir les échelons de l'échelle sociale en payant le prix de chaque ascension, qui est un prix bien lourd...

Gaspard va se dépraver, il va se prostituer pour survivre tout d'abord, puis quand il aura compris le prix qu'on peut attribuer à la chair, pour se faire entretenir par des hommes influents qui lui ouvriront les portes de ses rêves. Mais il est sans cesse rattrapé par son passé, qu'il ne peut jamais totalement oublier, et n'arrive pas à accepter son état de giton, cette déchéance morale qu'il a lui-même choisie. En cela, il est extrêmement antipathique, veule, rancunier, toujours à rejeter sur l'autre ses erreurs, à faire porter à autrui le poids des décisions prises qu'il n'arrive pas à assumer. C'est le seul bémol que je mettrais sur ce roman, passionnant, foisonnant : dommage que le jeune homme soit si peu aimable, on aurait eu envie de se réjouir pour lui de cette extraction du bas peuple qui est si rare, on aurait voulu qu'il soit plus mauvais encore, un véritable méchant, un arriviste sans foi ni loi, sans morale aucune, sans arrières pensées alors qu'il est empêtré dans ses remords et ses contradictions au point de se mutiler...

Les personnages secondaires sont décrits avec autant d'application : ainsi le mystérieux Comte, mais aussi la prostituée au grand coeur qui recueillera Gaspard un jour, ou les bourgeois évoluant dans leurs salons aseptisés et mondains, dont l'auteur brosse avec ironie les habitudes et travers.

Un livre à lire, qui ne peut je crois laisser indifférent, et qui me semble être une très belle description de la vie de cette époque.

 

Pour Karine, c'est "Un roman intéressant, dont [ elle a] apprécié la finale, tout particulièrement, mais auquel [ elle a] quand même trouvé quelques longueurs." Ys, qui l'avait lu à sa sortie a trouvé que "Jean-Baptiste Del Amo est certainement une découverte des plus originales parmi les nombreux textes de cette rentrée littéraire".

 

Un grand merci à Bob et aux Editions Folio pour l'envoi de ce livre !

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Commentaires
L
@ Nanne, tu veux que je te l'envoie ? Si tu peux le lire avant septembre, c'est parfait, après je pense le proposer dans ma biblio tournante de copines.
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N
Je l'ai vu seulement lors de sa sortie en poche chez Folio, et ce que tu en dis m'attire réellement ! Je le note et le surligne pour être sûre de ne pas l'oublier ... Si, en plus, c'est un roman brillant, je ne pourrai pas résister à cette (petite) tentation supplémentaire.
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L
@ Marie, je pense que ça vaut le coup, et dire que c'est un premier roman...
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M
Ton billet, et puis aussi ta comparaison avec le Parfum de Suskind, me donnent bien envie de découvrir ce roman !
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L
@ Kali, à suivre assurément ! Je me jetterai certainement sur son prochain livre...
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