J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger - Paul M. MARCHAND
Quand on pense "inceste", on frissonne d'horreur car on imagine automatiquement de très jeunes enfants, garçons ou filles, abusés par le père ou l'oncle, apeurés et honteux, se cachant dans leur souffrance et la violence qu'on abat sur eux, et dont la vie à jamais sera si ce n'est détruite, du moins gravement perturbée. L'inceste, c'est le pire des crimes, pour moi égal à celui d'enlever la vie à quelqu'un.
Quand j'ai ouvert ce livre, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre. J'ai pour habitude de ne jamais lire les quatrièmes de couverture au moment où j'entame une lecture, pour ne pas me laisser influencer, pour arriver sans a-priori dans l'histoire. On comprend cependant dès l'introduction que l'histoire contée ici est une histoire vraie, juste mise en mots par l'auteur. Et on comprend également dès les premières pages de quoi il s'agit. Il s'agit d'inceste, oui, puisqu'un père couche avec sa fille. Mais il s'agit aussi d'un amour magnifique, d'une très belle et très douloureuse histoire entre deux êtres qui se sentent faits l'un pour l'autre mais savent qu'ils n'en n'ont pas le droit, que l'amour entre eux ne doit pas être, tout du moins pas cet amour charnel auquel ils se soumettent.
On peut être d'emblée choqué par le sujet et refuser de voir cet amour, de rentrer dans l'histoire. Mais on peut aussi leur trouver des circonstances atténuantes. Ils sont père et fille, mais n'ont fait connaissance qu'à l'âge adulte : lui avait 38 ans et elle 17. Ils ont dû apprendre à se connaître, se découvrir exactement comme on doit le faire lorsqu'on rencontre quelqu'un qui deviendra peut-être un ami, ou un amant. Et ils se sont plu. D'abord ils ont trouvé les points communs de leurs caractères, les goûts compatibles, puis les envies profondes, une véritable communication, une compréhension mutuelle. Puis inconsciemment, vicieusement est arrivé le désir, cette envie de l'autre qui va plus loin que la connivence intellectuelle et affective, cette envie de communier également par le corps.
Alors oui, ils sont père et fille. Mais jamais ils n'avaient vécu ensemble. Pas de souvenirs d'enfance, pas de contacts même puisque le père ne savait même pas qu'il avait une fille jusqu'à ce qu'elle le retrouve. Dans ce cas-là, cet amour ne me choque pas. Ils sont père et fille sur le papier, ils ont un lien de sang, bien sûr, mais n'ont aucun des liens, à mon sens bien plus importants, qu'on tisse dans une relation entre parents et enfants. Je serais bien plus choquée par un couple de beau-père, belle-fille par exemple, n'ayant aucun lien de sang du fait des remariages, mais ayant vécu une vie de famille ensemble avant de devenir amants.
Sarah est jeune et insouciante et ne voit pas vraiment la portée de leur inceste, celui que ne manqueront pas de pointer du doigt les bonnes gens bien pensantes. Lui, plus mûr, est assailli de culpabilité, de doutes, d'angoisses et a du mal à assumer cet amour interdit par la loi et par la morale collective. Leur relation n'est pas calme et sereine, mais entrecoupée de crises, de ruptures, de renoncements et de retrouvailles. Ils savent qu'ils n'ont pas le droit, mais n'arrivent pas cependant à se dépêtrer de cet amour, de cette relation...
Dans cette histoire, je me suis juste laissée porter par le texte, et par cet amour immense et perdu d'avance, puisque le poids du regard des autres, du qu'en dira-t-on est bien trop lourd à porter pour que Benoit et Sarah parviennent à vivre un tel amour au grand jour. J'ai trouvé la narration superbe, totalement adaptée au jeune âge de Sarah. Elle raconte ses souvenirs, cet amour immense et interdit, mais peut passer d'un moment à un autre à une sujet différent, faire ressurgir un autre souvenir, une anecdote. Une très belle lecture, très émouvante.
"Qu'est-ce qui empêcherait vraiment d'aimer la personne de son choix ? Et si, justement, cette personne n'était pas le fruit d'un choix mais la conséquence de quelque chose qui s'impose de lui-même, irrésistible et souverain, sans qu'il y ait de préférence à établir : un déferlement, un assaut, une reddition... Une détonation qui classe le coup de foudre pour un amusement de chef de gare. Aimer sans avoir le choix, sans même se résoudre à un espace pour lui, si infinitésimal qu'il puisse être. Une dictature de coeur. Une force allègre."
Tamara l'avait lu à sa sortie et n'avait pas du tout aimé. Emeraude, elle, n'avait ressenti aucune émotion mais avait aimé le style du livre
Livre offert par Le Livre de Poche, que je remercie (et que je prie de bien vouloir m'excuser pour le retard de mes billets...).