Grâce et Dénuement - Alice FERNEY
Parfois, on passe devant leur campement, et inconsciemment, on serre un peu plus notre sac contre notre flanc, on accélère la cadence de la marche, on resserre notre étreinte sur la main de nos enfants... En voiture, on remonte les vitres ou on actionne le bouton de fermeture automatique des portes. On se sent un peu mal à l'aise, on a un peu peur, parfois même on est dégoûté, ou bien scandalisé. Et dans le même temps, il est difficile de ne pas ressentir ce léger sentiment de culpabilité, ce petit pincement au fond du coeur, cette interrogation : mais comment font-ils pour vivre ainsi ?
Eux, ce sont les gitans. Ces baraquements que l'on voit en périphérie de nos villes, dans des endroits souvent sordides, délabrés. Parqués sur des terrains vagues, ou sur des terrains aménagés par la commune dans le meilleur des cas, mais parqués tout de même dans leurs caravanes. Parfois, ce sont des véhicules rutilants, de véritables camions roulants dans lequel on imagine tout le confort possible, mais le plus souvent, ce sont de vieilles carcasses rouillées et sales, entourées de détritus, de déchets au milieu desquels sèche le linge, jouent les enfants...
C'est dans ce type de campement qu'Esther s'invite. Elle réussit, à force de ténacité et surtout de discrétion, à gagner la confiance du clan, et surtout celle de la vieille Angeline, la mère, celle qui impose sa loi à ses fils et ses belles-filles. Esther arrive avec des livres et ne demande rien d'autre que d'avoir le droit d'en faire la lecture aux enfants. Ceux-ci, débraillés, crasseux, libres comme l'air mais totalement livrés à eux-mêmes, incultes, n'ont jamais vu d'images, jamais entendu d'histoires que celles racontées le soir autour du feu. Réticents et moqueurs au début, ils vont bientôt se passionner pour ces aventures sorties des livres, pour ces histoires réelles ou imaginaires qui leur font entrevoir que le monde est plus vaste que le terrain sale de leurs jeux. Ils vont se passionner et redemander à Esther de nouvelles lectures, de nouvelles histoires. Les adultes écoutent aussi, mais de loin, car leur préjugés contre les "gadjés", les gens normaux qui ne sont pas de leur monde sont encore solides. Mais ils se rendent bientôt compte que les livres apportent aux enfants un petit moment de bonheur et viendront l'un après l'autre, chacun à son rythme et selon son caractère, se rapprocher d'Esther et commencer à parler un peu avec elle, à échanger. Ils apprendront à respecter comme elle les respecte, sans jugement de valeur, en mettant de coté leurs différences et leurs a-prioris.
Un livre magnifique sur le pouvoir des mots, sur l'ouverture d'esprit et la joie que peuvent procurer la lecture ! Esther partagera joies et peines avec cette famille si différente de la sienne, elle se battra même pour faire scolariser l'aînée des enfants, pour faire comprendre à ses parents que le seul moyen de sortir de cette spirale de pauvreté, de dénuement est d'accéder à la culture. Un livre sur l'amour, sur la compréhension, sur les valeurs profondes que chacun porte au fond de soi. Un livre sur le partage, sur la découverte, sur l'empatie, sur l'amitié. Un livre superbe sur l'acceptation de la différence de l'autre, sur le respect que l'on peut -que l'on devrait- porter même à ceux qui nous sont si dissemblables. Car ces gitans, bien que sales et pauvres, bien que voleurs, menteurs, sont des hommes avant tout, avec leur honneur, leurs peurs, leurs désirs profonds. Leur mode de vie est certes bien particulier, mais on découvre au fil des pages des valeurs humaines, une profondeur, une compréhension du monde extérieur qui parfois pourrait nous faire honte.
Un livre à l'écriture fine et sensible, qui prend au coeur, aux tripes. Un livre contre les préjugés, à lire, d'urgence.
Lecture commune avec avec Abeille et Clara.
Et ce livre faisait partie de mon blogotrésor 2009 (oui, je sais, il serait temps de terminer mes challenges de l'année précédente !)