Le pays où une vie ne vaut pas cher...
En août 2000, le sous-marin Koursk, l'un des fleurons de la flotte russe, coule en mer de Barents. Aucun secours efficace ne sera tenté à temps et il n'y a aucun survivant.
Marc DUGAIN, en partant de cette tragédie bien réelle, nous propose un roman sur les gens ordinaires de la Russie post-soviétique, ainsi que leurs réflexions sur la politique du pays, son déclin, l'emprise de ces transformations sur le peuple russe, et leurs conditions de vie misérables et incertaines. Aux cotés des personnages issus de son imagination, on retrouve les personnalités historiques, Staline, les officiers des services secrets, des capitalistes...
Les chapitres présentent des personnages différents, dont au comprend au fil de la lecture, qu'ils sont tous liés les uns aux autres, sur trois générations. Au début du roman, la mère du narrateur est appelée auprès de Staline pour le soulager de ses maux grâce à ses dons de magnétiseuse. Isolée de son mari, elle croise le cuisinier, un certain Plotov qui vient d'avoir un petit-fils Vladimir que l'on retrouvera plus tard. Elle rejoint ensuite son mari à son affectation dans une base de la marine sur le cercle polaire.
Puis, Vladimir Plotov devenu adulte, est recruté par le KGB et envoyé en RDA pour tester ses convictions et son aptitude à servir le pays.
Le narrateur, professeur d'histoire dans un lycée dans une base militaire au bord de la mer de Barentz nous parle ensuite de son couple et de ses enfants, Anna journaliste, et Vania, cadet dans la marine. Il reçoit une indemnité en "contrepartie" de la disparition de leur fils lieutenant de vaisseau. On entre alors vraiment dans le coeur du roman et on découvre le naufrage dramatique et mystérieux du sous-marin Oskar, sur lequel servaient Anton, le meilleur ami du narrateur, et son fils. Descriptions de la vie à bord, des influences politiques, de la corruption qui pourrit le pays, nous touchons au plus près la réalité de ce pays complexe, attirant et repoussant tout à la fois : sous le couvert de ses personnages, l'auteur brosse un véritable panorama de la Russie d'aujourd'hui.
J'ai bien aimé ce livre, mais j'avoue avoir eu un mal fou au début à me mettre dans le roman. Les réflexions sur le pays, sur les mentalités des gens sont passionnantes, mais j'ai mis pas mal de temps à comprendre qui était qui dans le récit et comment les personnages étaient liés les uns aux autres. A part cela, la description du pays et de ses rouages secrets est vraiment intéressante et le "fait divers" qui fait la base du récit est poignant.
Une exécution ordinaire a reçu le Grand prix RTL-Lire 2007.
Pour plus d'informations sur le sujet, vous pouvez lire le site Russie.net, très intéressant, ainsi qu'une critique approfondie sur Critiques libres.
Extraits : "Un cheval qui n'a peur de rien, il faut le tuer, car il va contre les instincts de sa race. Un cheval craintif, il faut le tuer aussi sinon un jour c'est toi qu'il tuera dans un mouvement inconsidéré pour se dégager. Il en est de même avec les hommes. La terreur requiert un dosage subtil, sinon nous sommes obligés de tuer beaucoup trop de monde, […] elle doit être perçue comme un phénomène irrationnel du point de vue de ses victimes, mais elle est un phénomène quasi scientifique du point de vue de ceux qui l'infligent, sinon c'est n'importe quoi."
"Pour moi, la terreur, c’est la certitude pour tout homme de l’Union soviétique, du plus humble au plus puissant, de l’anonyme à l’ami de Staline, que rien ne le protège d’une décision de l’exécuter qui peut tomber à chaque instant sans véritable fondement. »
« … tout est possible dans ce pays, la culture de la destruction est telle, et nous sommes capables d’y apporter un tel vice. Tout ce qui est impossible dans n’importe quel pays civilisé devient probable ici. »
"Quand la corruption devient un mode de vie, rien n’est impossible, l’improbable s’efface devant l’opportunité."
"Ces hommes devaient mourir pour que le doute puisse continuer à bénéficier au pouvoir, pour que la vérité ne puisse lui être jetée à la face. Au bout du compte, que sont ces vingt-trois vies, comparées à un secret d’Etat à naître ? Rien. Et cela n’a rien de choquant. Le contraire aurait étonné. Dans un pays où la vie en vaut rien, ou la mort a longtemps été une délivrance, peut-on concevoir qu’on échange des siècles d’exercice du pouvoir dans le secret contre les vingt-trois vies d’hommes qui ont choisi le métier des armes ? Le contraire aurait été à lui seul une révolution. Et, de révolution, dans ce pays, nous n’en n’avons jamais eu. »