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Lectures et élucubrations de Liliba
28 avril 2008

Tais-toi quand je parle !

 

 

Cette phrase, elle l'avait lancée sans réfléchir, vite et fort, et les mots malgré le temps écoulé résonnaient dans sa tête, tambourinaient dans ses oreilles, la frappaient droit au cœur et lui faisaient mal, toujours mal, de plus en plus mal. Cette phrase, elle l'entendait encore, elle se revoyait la dire : à chaque instant de sa vie, elle en avait l'écho, et elle s'en voulait, elle s'en voulait d'avoir parlé trop vite, elle s'en voulait parce que tout était de sa faute, à elle, elle s'en voulait parce que, sa vie entiÈre, elle aurait en elle ce cri qu'elle avait lancé, que jamais elle n'oublierait, qui était son remord, son châtiment, sa croix.

 

 

 

Les mots s'étaient formés d'eux-mêmes sur ses lÈvres, et jaillissaient déjà, cinglants, alors que son esprit n'en n'avait pas encore saisi la portée, la gravité. Ils étaient venus du plus profond de son être, avaient débordé sa pensée, l'avaient prise de vitesse et avaient littéralement explosé dans la piÈce. Elle entendait encore l'écho des quelques mots prononcés, leur résonance, qui devenait grondement ; ces mots qui se ruaient sur les murs, y rebondissaient, retombaient, et rebondissaient encore jusqu'à s'accrocher au cœur du souvenir.

 

 

 

Elle se souvenait tellement bien de cette minute qui avait suivi. Le jeu d'ombres et lumiÈres sur le tapis, les autres, autour, gênés, atterrés, attirés aussi par l'odeur du scandale, l'odeur qu'ils reniflaient du drame naissant, du malheur qui va s'insinuer partout, se répandre, et poser son empreinte sur les choses et les gens. Sa mémoire ne pouvait effacer ce jour, cette minute. Elle sentait encore la lourdeur du silence qui avait suivi son cri, la pesanteur de l'air, et les regards qui se posaient sur elle, allaient de elle à lui.

 

 

 

Et lui, son regard à lui, ne la quittait plus. Ses yeux dans lesquels elle avait lu sa faute ; ce mélange de surprise, de fureur, d'ébahissement et de douleur qu'avaient reflété ses pupilles s'était gravé dans son cœur. Et puis ce regard vide qu'il avait eu ensuite, cette absence de regard dans ses yeux qui le renvoyaient plus rien, ce regard mort lui avait fait comprendre qu'elle était allée trop loin, et qu'il n'y avait plus d'issue, plus de remÈde. Et elle avait vu, avait senti que ce cri qu'elle avait poussé était l'ultime échange entre eux, elle avait palpé déjà son absence, le vide qu'il laisserait, et pressenti sa mort à elle, sa mort lente et terrible puisqu'elle était encore en vie, et que sa vie ne se bornerait maintenant qu'au souvenir des mots jetés trop vite, irrattrapables, inexcusables, à l'expiation de ses tords, au remord.

 

 

 

 

 

Tout était ensuite allé trÈs vite. Les amis étaient partis discrÈtement, en chuchotant, et lui s'était enfermé dans le bureau, et n'avait plus prononcé un mot avant de s'en aller, lui aussi, sans la regarder, sans vouloir écouter ses excuses, ses paroles, ses pleurs. Oh ! elle l'avait supplié pourtant, elle s'était repentie, elle avait tenté de l'amadouer, le charmer, mais il n'avait rien voulu savoir, et avait disparu, disparu de sa vie, en la laissant seule, seule avec l'écho des mots, avec le silence, avec le vide. Elle avait hurlé, sangloté, elle avait cru cent fois mourir. Elle l'avait cherché, pisté et finalement retrouvé pour tenter de le ramener à elle, de reprendre le fil de leur vie qu'elle avait cassé. En vain. Il ne voulait plus la voir, plus l'entendre, et elle restait seule avec sa peine, son désespoir, et toujours en elle le souvenir de la phrase lancée qui la giflait, la griffait, lui mettait le cœur à sang et l'âme à nu.

 

 

 

Alors un jour, elle était partie, elle aussi. L'écho des mots était devenu trop fort, trop pesant, trop palpable et avait, dans l'appartement devenu silencieux, une résonance morbide, insupportable. Elle s'avait que c'était là son ultime recours, sa seule sauvegarde. Elle savait que toujours les mots seraient en elle comme un boulet, que l'écho ne s'éteindrait jamais, ne la laisserait pas en paix.

 

 

 

Elle était allée chez les Sœurs. Et elle avait promis. Elle avait fait vœux de silence. Elle ne parlait plus, mais elle priait, pour s'occuper, pour oublier, pour expier. Elle priait sans arrêt dans le couvent silencieux, et sa priÈre devenait cri vers Dieu. Mais Dieu ne répondait pas. Et le silence de Dieu, ce silence du ciel vers lequel elle s'était tournée amplifiait encore le vacarme des mots tapant dans sa tête. Elle ne parlait plus, elle avait décidé de se taire à jamais, mais l'écho de la phrase lancée ce soir-là la poursuivait impitoyablement et la poursuivrait à jamais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
F
Tu as vraiment une jolie plume !!!
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S
Il y a cette phrase lancée, irremédiable ...puis il y a ce silence criant, ce point de non-retour qui accuse la fin ...<br /> Tout est soigneusement narré, j'aime ton écriture précise, fine ...<br /> <br /> Bisou fraise et matinal ( plus doux que frais et matinal ! )<br /> à bientôt chère Lili ...<br /> Servanne
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L
Si je devais me repentir de toutes les phrases dites et regrettées aussitôt, je serai au couvent depuis des années !!! Mais bon, parfois, il suffit d'un mot et on va trop loin, et ce n'est plus réparable, et tout se délite...
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M
Qu'est-ce que ton héroïne pouvait bien avoir dit pour tant se repentir?<br /> Si toutes celles et ceux qui m'ont dit bien plus que ce qu'elle a dit devaient entrer au couvent........<br /> Bravo pour tes écrits, tu es prolifique!<br /> merci d'être passée sur mon blog et aussi pour le lien
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V
Tu écris très bien. C'est la première fois que je découvre un de tes ecrits en venant ici. Je ne suis pas deçue. J'espère en lire d'autres bientôt.
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Lectures et élucubrations de Liliba
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