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Lectures et élucubrations de Liliba
13 avril 2008

Esther, d'une main tremblante, tendit à travers la clôture le collier bleu

 

 

Lorsque je fis la connaissance d'Esther, j'avais à peine 8 ans. J'étais à l'époque une petite fille sauvageonne, effrontée, impertinente et mal élevée. Mes parents me laissaient vivre à ma guise, selon mes propres horaires et désirs et se souciaient peu de mon emploi du temps. Il m'arrivait souvent d'"oublier" d'aller à l'école pour plutôt vagabonder dans les rues de notre petite ville, autrement plus amusantes et enrichissantes à mes yeux que la triste salle de classe et les leçons de ma maîtresse. Cependant, il m'arrivait de m'ennuyer ferme, et je me lançais à moi-même de terribles défis : harceler de coups de sonnettes répétés, et sans me faire voir toute une rue, ou, ce qui m'amusait le plus, et me procurait tout à la fois un délicieux frisson de peur de même qu'un élan de fierté pour mon adresse et mon courage, chaparder, sans me faire prendre, quelque objet dans un magasin. Mes menus larcins étaient à l'époque devenus presque quotidiens, et je m'enorgueillissais de ma technique et de ma dextérité qui me permettaient de continuer impunément cette occupation peu honnête.

 

 

 

Un jour que j'avais une cruelle envie de petit pain, et comme à l'accoutumée pas un sou vaillant en poche, j'entrais dans une boulangerie juste à la suite d'une vieille dame, affectant ainsi de l'accompagner et n'attirant de ce fait pas l'attention sur ma petite personne. La boulangère était fort occupée avec une grosse dame qui semblait n'avoir pas encore assez de rondeurs et voulait lui acheter quasiment tout le stock des pains et viennoiseries, tout en hésitant également sur le choix de quelques petits gâteaux.

 

J'allais profiter de l'occasion pour m'emparer au plus vite d'une douceur quand mon regard croisa celui de la veille dame ; Elle était petite et toute ratatinée, donnait l'impression de ne pas bien tenir sur ces jambes, mais ses yeux pétillaient de malice et laissaient transparaître toute la jeunesse  et la vivacité de son esprit. Elle me sourit, jeta un oeil du coté du comptoir, et tendit alors sa menotte ridée dans le bac à bonbons. En l'espace d'un éclair, une énorme poignée disparut dans sa poche, et la vieille dame continua à sourire gentiment, me fit un clin d'oeil, et attendit son tour, pour ... demander son chemin à la boulangère.

 

Je restais pétrifiée. Cette petite mamie innocente venait de me griller au poteau, de devancer mes actes. J'étais partagée entre une jalousie féroce de me voir ainsi dépassée dans mon art secret - ma fierté - et une énorme admiration pour le culot de la vieille et la sérénité qu'elle affichait. J'avais trouvé mon maître !

 

 

 

Je sortis du magasin à sa suite, les mains vides, et fit quelques pas derrière elle dans la rue, sans bien savoir pourquoi je la suivais, quand elle se retourna et me tendit quelques bonbons avec un sourire malicieux. Ainsi, Esther et moi, malgré les 50 ans qui nous séparaient, devinrent les meilleures amies du monde.

 

 

 

Nous nous retrouvions presque chaque jour, et notre grand jeu devint naturellement de ramener à l'autre le gain de nos promenades, les babioles que nous avions réussi à voler à droite et à gauche. Nous nous amusions beaucoup, mais l'entreprise nous sembla cependant bien vite trop aisée, et nous commençâmes alors à nous jeter des défis et à faire des paris, celle qui ramènerait l'objet le plus grand, le plus lourd, le plus rouge, le plus moelleux... Notre jeu devenait sérieux.

 

 

 

 

 

Un samedi de grande affluence avant Noël, j'entrais dans la bijouterie, avec mon sourire le plus innocent et charmeur, et un air tout à fait approprié de petite fille sage venant choisir un cadeau pour sa maman.

 

 

 

Je m'approchais des étalages et pus à loisir contempler une série de colliers étalés sur le comptoir devant un client. J'eus un véritable coup de coeur pour un collier très long , et qui semblait très lourd, dont les perles bleutées reflétaient la lumière. C'était celui-là que je voulais, pas un autre, et mon désir devint si fort que je m'engageais sans y être invitée dans la conversation entre le client et la bijoutière, lui conseillant de prendre un petit collier de perles, très joli du reste, et discret plutôt  que le lourd collier bleu qui le tentait.

 

Toute en parlant sans m'arrêter, entretenant leur intérêt et leurs regards sur ma personne, je touchais délicatement tous les colliers présentés, comme pour m'assurer de mon juste choix. Au moment propice, comme les deux adultes reprirent leur conversation sans plus faire attention à moi, ni regarder l'étal, j'empochais prestement mon collier bleu, et fis mine de m'intéresser à un autre rayon.

 

 

 

L'affaire était dans le sac, il ne me restait qu'à quitter le magasin en alléguant un prétexte fallacieux. Je tenais serré le collier dans ma poche et savourais déjà ma victoire, imaginant la tète d'Esther, son dépit d'avoir perdu notre pari, sa joie de me voir gagner, et je me voyais déjà me promenant avec ce superbe collier autour du cou.

 

 

 

C'est alors qu'on s'approcha de moi, qu'on m'attrapa par le col, pour me traîner devant la bijoutière. Je n'eus pas le temps de réaliser ce qui se passait, tout alla trop vite. L'aide bijoutier, qui travaillait dans le fond du magasin, m'avait vue, et il m'ordonna sèchement de rendre mon butin. Ma honte fut énorme, ma colère contre moi-même , contre mon imprudence aussi grande. Je dus rendre le collier, subir une foule de questions et toute une morale, et attendre ensuite dans un coin, sans pouvoir m'échapper, que mes parents, alertés, vinssent me chercher.

 

 

 

Je perdis ainsi en une journée ma liberté, la confiance de mes parents, et mon goût prononcé du vol ! Je fus punie, n'eus plus le droit de sortir. J'avais cependant pu envoyer un mot à ma chère Esther, lui expliquant tout. Je m'étais juré de me venger de la bijoutière et de son employé et demandait à ma chère vieille amie de m'aider à préparer une revanche terrible.

 

 

 

Quinze jours plus tard, j'accompagnais ma mère pour une course et nous passâmes devant la maison d'Esther. Elle nous avait vu arriver et s'était postée dans son jardin, le long de la rue. Arrivée à sa hauteur, je ralentis mon pas, laissais ma mère prendre  un peu d'avance, et tournais la tète vers le jardin. Quelle ne fut pas ma surprise ! Esther d'une main tremblante, me tendit à travers la clôture le collier bleu, le fameux collier qui était cause de tous mes malheurs !

 

 

 

Ma mère m'appelant, je n'eus que le temps d'empocher le collier, de lancer un dernier regard à Esther qui souriait et me faisait de petits signes de victoire. Je ne comprenais pas du tout comment le collier était entré en sa possession t avait du mal à réaliser que l'objet était maintenant en sûreté au fond de ma poche. Tout cela était un véritable mystère.

 

 

 

Je sus ensuite la façon dont s'y prit ma chère amie. Ayant reçu ma lettre, et étant comme moi très en colère contre la bijoutière, elle avait décidé de me venger, sans m'en parler. Elle avait fait venir chez elle, la bijoutière, prétextant une incapacité à se déplacer du fait de son grand âge et d'une méchante arthrite, et laissant entendre qu'elle voulait choisir pour chacune de ces cinq  nièces, toutes fictives,  un collier de couleur différente.

 

 

 

La bijoutière était arrivée avec une grosse boite de bijoux, qu'elle avait présentés à Esther, et celle-ci du mettre tout son art en vigueur pour faire disparaître du lot le fameux collier, qu'elle avait aussitôt reconnu d'après mes descriptions. Elle proposa un thé et des petits gâteaux à la bijoutière, pour la mettre en confiance, lui fit déballer tout le lot de bijoux , les essaya un à un , puis plusieurs ensemble, parla sans arrêt pour l'étourdir de son babillage, si bien qu'au moment de repartir, le collier bleu se trouvait sous le canapé, la bijoutière n'avait rien vu ; et Esther jouait le désespoir de ne pouvoir se décider, promettant à la fin de venir au magasin avec chacune de ces nièces pour choisir. Le tour était joué. La bijoutière s'était sûrement ensuite rendu compte de la disparition mais jamais ses soupçon ne vinrent se poser sur la charmante vieille dame qui l'avait reçue si aimablement, si douce, si vieille et si innocente.

 

 

 

Esther étant d'une nature généreuse, et qui plus est, blagueuse, elle s'arrangeât ensuite pour me faire la surprise et me rendre mon bien - le collier bleu de mes rêves.

 

 

 

J'ai repensé aujourd'hui à cette vieille histoire en ouvrant ma boite à bijoux et en y trouvant tout au fond le fameux collier. Je l'avais depuis longtemps oublié, de même qu'avec les années, j'avais oublié Esther et nos escapades voleuses, nos fous rires et mon amour de petite fille pour cette vieille dame charmante et rigolote dont j'aurais tant aimé qu'elle fut ma grand-mère.

 

 

 

Elle est morte maintenant, depuis bien longtemps déjà, mais je me suis juré que dorénavant, je ne l'oublierai plus, et le collier bleu - bien qu'il soit beaucoup  moins beau que dans mon souvenir ornera mon cou régulièrement, et déjà pour ma soirée tant attendue de ce soir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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